Cet article, publié en janvier 2022 dans la revue Manresa, a été traduit par Yves Roullière. Parution initiale dans Christus n° 276 (octobre 2022).

Saint Ignace de Loyola n'est pas seulement l'un des grands maîtres spirituels de l'histoire de l'Église, un des meilleurs connaisseurs des mouvements et des processus intérieurs qui dynamisent le sujet spirituel, il est aussi doté d'une puissante intuition capable de capter les mécanismes psychologiques qui mobilisent l'intériorité de l'être humain. Il est encore un expert en outils spirituels et anthropologiques pour répondre à un plus grand service de Dieu, notre Seigneur. Dans les Exercices spirituels et, plus précisément, dans les « Règles de discernement » (Exercices spirituels [ou ES] 313-336), Ignace nous offre un panorama interdisciplinaire où il intègre des éléments spirituels à des éléments psychologiques.

L'objectif de cet article est de mettre en dialogue tristesse, dépression et désolation, qui font partie de ce panorama complexe. Ces états, auxquels nous sommes probablement confrontés dans nos accompagnements, engendrent une certaine confusion théorique et pratique. En effet, quand nous abordons un terme comme la désolation, il faut prendre en compte non seulement l'adjectif « spirituelle » qui le qualifie, mais aussi sa structure psychologique sous-jacente : une émotion comme la tristesse et son déclencheur pathologique, la dépression, doivent être définis pour tenter de mieux comprendre, sans les confondre, ces états spirituels et/ou psychologiques. La mise au point terminologique puis la mise en dialogue – ressemblances et différences – pourraient aider à mieux accompagner les personnes qui se remettent entre nos mains.

Quelques éclaircissements

Pour faciliter le dialogue entre ces termes, nous avons besoin d'éclaircir en premier lieu chacun d'entre eux, la manière dont se composent leur structure interne et leurs dynamismes.

La tristesse comme émotion de base du sujet

Les émotions font partie intégrante de notre vie. Elles nous aident à nous adapter rapidement au monde. Jointes à la raison, elles nous rendent plus efficaces dans les différents contextes dans lesquels nous vivons. Elles ne servent pas seulement à régler, contrôler ou dissimuler des problèmes, mais à organiser des processus internes (elles déterminent notre manière d'interpréter la réalité). Par exemple, la peur nous prévenant que nous sommes en danger, la joie d'avoir atteint un but et la tristesse d'avoir perdu quelque chose d'important.

La tristesse est l'émotion qui active le processus psychologique ou spirituel nous permettant de dépasser pertes, désillusions ou échecs. Elle met de la distance avec des situations douloureuses pour mieux les intérioriser et les cicatriser. De la même