Un jeune et brillant recteur d'un séminaire orthodoxe russe en France, maniant avec doigté le bréviaire, l'encensoir et la diplomatie, aussi à l'aise dans les écrits des Pères de l'Église que dans les mondanités ecclésiastiques et les arcanes politico-religieux. Un jour, le sang cosaque de ce moine au visage d'ange est venu faire battre à nouveau ses rêves d'enfants : vivre au milieu des chevaux comme ses ancêtres dans les steppes des confins de l'Empire russe. Peu à peu, à ses vingt-cinq séminaristes russes et ukrainiens, sont donc venus s'agréger deux ânes, un trotteur français, une jument comtoise, un hongre westphalien et un autre venu des montagnes du Caucase, qui ont révélé le jeune clerc à lui-même. Le récit de cette aventure, qui paraît sortie d'un roman de Dostoïevski, de Balzac ou de Dumas, Siniakov l'a raconté dans Détachez-les et amenez-le à moi (Fayard, 2019), qui a reçu le « Goncourt des animaux », le Prix « 30 millions d'amis ». On le retrouve aujourd'hui dans un récit encore plus émouvant et profond. Son troupeau et lui ont quitté l'enceinte du séminaire pour une vieille ferme sarthoise. Dans cette arche rurale s'ébrouent désormais chevaux, ânesses, chiens, chats, oies, canes, boucs et chèvres… Siniakov, qui a conservé son ministère ecclésial au séminaire et cumule la charge d'âme et le soin des bêtes, relate ses joies et ses peines au contact de ce cheptel. Le recteur a troqué la soutane pour l'habit du fermier, la paix des cloîtres pour le grand air, l'encens pour le fumier. À cette école de la nature, il découvre la liturgie du réel, dans sa majesté et sa cruauté tragique, et devient le célébrant d'une sorte de « messe sur le monde ». À ceux qui s'offusquent de cette activité « profane », crient à la passion peccamineuse, lui reprochent de délaisser ses ouailles, il rétorque que les animaux sont des médiateurs de l'amour de Dieu. Qu'ils lui apprennent comme personne à devenir un homme plus simple, un meilleur moine, à prier, à rendre grâce, à servir la vie. Si l'homme biblique a été érigé au rang de roi de la création, il ne faut pas oublier que ce pouvoir est une primauté de service, rappelle le moine qui, après le sermon aux oiseaux de François d'Assise, l'amitié de Séraphin de Sarov avec un ours ou d'Isaac le Syrien avec les serpents, est en train d'écrire un nouveau chapitre de l'histoire chrétienne de la fraternité avec les bêtes.